Guerre de 39-45
Au fur et à mesure des années, les Mordelais ayant vécu la seconde guerre mondiale sont de moins en moins nombreux à pouvoir témoigner de ce qu'ils ont vu.
Nous avons eu toutefois la chance de pouvoir écrire les textes qui suivent sur la foi de personnes nées à Mordelles dans les années 1920 à 1930.
Les premiers mois d'occupation
Même si la commune de Mordelles ne figure pas parmi les villes les plus touchées par la seconde guerre mondiale car elle est notamment épargnée par les bombardements, certains évènements restent gravés dans la mémoire de nos aînés.
Maurice Costo, exerçant son métier de couvreur, est souvent aux premières loges pour observer, depuis les toits de maisons, les combats aériens et ses souvenirs sont très précieux. [1]
Le 3 septembre 1939, la guerre est déclarée. Les Mordelais aptes au combat doivent quitter leurs familles pour rejoindre leur régiment d'affectation.
Le 17 juin 1940, à Rennes, la gare de triage de la plaine de Baud est bombardée par les Allemands, faisant environ 2000 morts. C'est le bombardement le plus meurtrier commis en Bretagne. Le lendemain, Rennes est sous occupation allemande.
Les bombardements à Rennes
A cette période, Mordelles connaît encore un peu de répit. La colonne allemande, partie de la ville de Rennes pour s'emparer des communes environnantes, contourne dans un premier temps Mordelles et passe par Bruz, puis Bréal pour rejoindre Monterfil.
"Lors du passage du convoi à Bréal, un Allemand en moto s'est écarté, puis arrêté près du Grand Pont, à l'entrée de Mordelles. Inspectant les alentours et voyant qu'il n'y avait pas d'activité, que tout paraissait calme, il a rejoint le convoi. Les Allemands empruntaient beaucoup les routes de campagne ce qui les mettaient à l'abri des bombardements ennemis."
Mais ce n'est que partie remise pour Mordelles,
"Mordelles étant traversée par une route nationale, la RN 24, ce fut une période assez agitée car de nombreux Français l'empruntaient quotidiennement pour fuir l'avancée de l'occupant. Ce n'est que quelques temps plus tard que Mordelles fut à son tour occupée. Les premiers Allemands sont venus à cheval."
Les premiers mois d'occupation se passent dans un calme relatif, bien que les restrictions imposées par les Allemands bouleversent la vie des Mordelais (tickets de rationnement, pénurie d'essence, couvre-feu...).
"Les gradés occupaient les maisons bourgeoises, les châteaux, les manoirs tandis que le reste des troupes s'installait dans les écoles et la mairie. Le garage Bigot, situé alors à l'entrée ouest de la commune, fut réquisitionné lui-aussi pour stocker les camions ateliers".
Ci-dessus, une photo de la forge appartenant à la famille Thézé et située au Clos Ferré. Elle est prise pendant l'occupation et montre que les Mordelais n'ont pas d'autre choix que de cohabiter avec l'ennemi.
"A Mordelles, 16 compagnies allemandes se sont succédé pendant la guerre. Elles venaient dans notre commune pour se reposer et se réorganiser avant de repartir sur le front. Le château de la Haute-Forêt servait de quartier général aux Allemands".
Ceux-ci appliquent alors des mesures de réquisition et notamment sur les chevaux.
Henri Lelardoux explique dans son livre :
"A Mordelles, tous les chevaux du canton répondant à certains critères durent être présentés à une commission qui sélectionnait les meilleurs éléments pouvant être incorporés dans les régiments d'artillerie. Comme au conseil de révision pour les hommes, les chevaux devaient être présentés nus avec seulement un licou."
Les Mordelais s'organisent
La nourriture, le tabac, le vin mais également les vêtements, les chaussures et l'essence viennent à manquer.
Aussi les Mordelais s'organisent-ils, le troc, la "débrouille" et le marché noir supplantent vite les habitudes traditionnelles. Le système D est de mise.
En temps de guerre, habiter à la campagne a au moins cet avantage : les ressources y sont plus abondantes notamment grâce à l'existence de fermes et de grands jardins qui fournissent viandes, légumes et fruits.
Le café est élaboré à partir d'orge grillé et parfois, pour les plus chanceux, avec du tabac qu'ils cultivent dans leur jardin.
Le savon est fabriqué en mélangeant de la soude et du "brou" composé de feuilles de lierre qui contiennent de la saponite. Les habits, quant à eux, sont rajeunis ou transformés. Les vieux rideaux sont utilisés pour tailler une veste ou une robe.
Pour faire du pain blanc devenu rare à l'époque, certains n'hésitent pas à utiliser des barques, en pleine nuit, sur le Meu, pour aller chercher de la farine au moulin de Cramoux. Situé sur la commune de Bréal, à l'écart, c'est celui qui est le moins exposé et qui, à priori, présente le moins de risques d'être repéré par les Allemands.
Toutes les écoles sauf celle des filles sont occupées par les troupes allemandes. Aussi le moulin de Mordelles, la maison du menuisier Chevalier, la cordonnerie Louessard ainsi que l'école des filles servent-ils de nouveaux locaux pour les jeunes garçons mordelais scolarisés à l'école libre.
Michel David se rappelle : "lorsque les inondations coupaient l'accès au moulin de Mordelles, mon père avec d'autres Mordelais transportaient des bottes de paille dans des charrettes, pour ensuite en faire un chemin et nous permettre de rejoindre nos salles de classe."
Concernant la mairie également sous emprise allemande, ses fonctions sont transférées à la villa Beausoleil, rue de Plaisance. Cette propriété privée appartient alors au Comte Robert de Toulouse-Lautrec.
"Plusieurs dizaines d'hommes de la commune furent faits prisonniers de guerre et lorsque leurs lettres arrivèrent d'Allemagne, décrivant leurs conditions de capture et d'internement ainsi que leur état de santé, un sentiment d'entraide collective se fit jour dans la population" (Henri Lelardoux).
Les Mordelais se mobilisent en effet pour récolter des fonds en organisant des fêtes et des kermesses afin d'envoyer un colis à chacun des prisonniers.
Marcel Clairon, employé 37 ans au garage Bigot, envoie en 1939 une carte postale le représentant en tenue de prisonnier. Il est alors interné au stalag XIB de Fallingbostel. Cette carte, destinée à rassurer sa famille quant à son état de santé, ne comporte aucune mention manuscrite. En effet, la censure allemande est permanente ce qui contraint le plus souvent les prisonniers à n'envoyer que des photos dépouillées de tout commentaire.
L'occupation allemande se fait plus pesante
"A partir du deuxième semestre 1941, les rapports avec l'occupant se durcirent. Les Allemands avec l'ouverture du front de Russie comprirent très vite que leurs vacances en France étaient terminées." (Henri Lelardoux).
"Les Allemands cantonnaient leurs chars dans la cour de l'école du Frère Émilien et derrière le monument aux Morts. Les services de renseignements allemands étaient installés dans l'ancienne école des filles en face de la mairie."
Ce service spécial demande à la commune de Mordelles, représentée par Robert de Toulouse-Lautrec, de lui fournir une prison. La municipalité, contrainte de s'exécuter, propose dans un premier temps l'abattoir de Joseph Cochet [2].
Les Allemands refusent et réquisitionnent purement et simplement le garage du corbillard, accolé à gauche de l'hôtel de ville [3].
C'est dans cette nouvelle prison que les résistants mordelais seront enfermés avant d'être transférés à Rennes à la prison Jacques Cartier et pour certains, déportés dans les camps de concentration.
Ces Allemands, dont tous les Mordelais se méfient, ont marqué les esprits.
"Ce service spécial possédait une voiture Gonio équipée d'antennes rotatives, elle ressemblait à un véhicule blindé. Elle parcourait les rues de Mordelles aux heures des repas à la recherche d'une radio clandestine ou d'émetteurs utilisés par les résistants pour contacter Londres."
Ayant pour objectif de fournir de la main d’œuvre aux usines de guerre allemandes, début 1943, le STO (Service de Travail Obligatoire) est instauré pour les jeunes hommes de 20 à 23 ans.
Le conflit se durcit, les bombardements des points stratégiques et les actions de sabotage s'intensifient.
C'est dans ce climat de tension extrême que la résistance bretonne se développe, les jeunes gens préférant prendre le maquis plutôt que de travailler pour l'occupant.
Cette même année, 5 Mordelais et 2 Bréalais s'engagent dans un réseau de renseignement, il s'agit de la Confrérie Notre-Dame (CND).
La Confrérie Notre-Dame
La Confrérie Notre-Dame [4] est sans doute le plus important réseau de renseignement militaire de la Résistance. Elle compte en effet plus de 1 500 agents.
A l'automne 1943, la trahison de deux opérateurs radios "Tilden" et "Alain" a des conséquences catastrophiques. Elle entraîne une centaine d'arrestations et parmi celles-ci, des agents du réseau implanté à Mordelles.
Ce réseau mordelais, créé en juillet 1943, est chargé de recueillir des renseignements militaires d'ordre économique et politique. Les deux plus importants membres du réseau de la Confrérie Notre-Dame de Castille [5], Pierre Dordain et Théodore Josse, sont arrêtés le 16 décembre 1943.
Le Docteur Pierre Dordain, alias "le Cerf", rejoint ce réseau en juillet 1943 et commande le secteur de Rennes. Il reçoit et cache des armes, organise des unités de combat et fournit des informations au Bureau Central de Renseignement et d'Action (BCRA).
Deux jours après son arrestation, il meurt à 49 ans, torturé par la gestapo à la prison Jacques Cartier.
Il est enterré au cimetière de Mordelles. Maurice Costo figure parmi les personnes qui assistent à la cérémonie : "le jour de l'enterrement, il y avait beaucoup de monde. Les gens venaient parfois de très loin pour rendre un dernier hommage au docteur Dordain. Personne ne parlait, tout le monde était sur ses gardes car la milice surveillait la cérémonie et observait les moindres faits et gestes."
Toujours le 16 décembre, la gestapo, se faisant passer pour des parachutistes anglais, se présente à Coulande au domicile de Théodore Josse, alias "Ajonc" et adjoint du docteur Dordain. Il est arrêté et déporté du camp de Royallieu, à Compiègne [6] dans l'Oise, vers le KL ou "Konzentrationslager" [7] de Mauthausen [8], en Autriche, le 6 avril 1944.
Alors père de 9 enfants, il y décède 4 mois plus tard.
Le 18 décembre 1943, 4 autres membres du réseau, agissant aux côtés du docteur Pierre Dordain, sont eux aussi arrêtés à leur domicile et emprisonnés à la prison Jacques Cartier de Rennes. Ils sont transférés à Compiègne.
Ces 4 résistants sont déportés le 6 avril 1944 de Compiègne en direction du KL de Mauthausen ou de celui de Güsen, un camp annexe situé à quelques kilomètres.
Jean-Louis Persais, alias "La Planche", porte ce pseudo en référence à la scierie qu’il tient route de Chavagne. Il décède le 4 février 1945.
Marcel Evrard exerce le métier de charron dans son atelier, rue de Plaisance. Il s’engage dans la compagnie des sapeurs-pompiers de Mordelles en 1930.
Il a l’habitude d’aller boire une bolée au café Costo situé non loin de son domicile.
Maurice Costo se souvient : "dans la soirée [9] Marcel Evrard est passé chez mes parents et nous a dit : je suis foutu, je partirais bien mais il y a ma femme et ma fille. Le lendemain matin, il était trop tard. Sa dernière consommation fut une bolée de cidre que je lui ai servie".
Marcel Evrard décède le 27 avril 1945 alors que 7 jours plus tard, le camp est libéré par l’armée rouge.
Après la guerre, la rue où se trouve le café Costo de l’époque est baptisée "rue des déportés" en hommage à tous les agents de renseignement mordelais.
Hervé Vandernoot, originaire de Belgique, s’installe route de Chavagne où il reprend la gérance de la distillerie " les coteaux du Meu". Alias "Picard", il décède le 17 avril 1945.
Edouard Durocher est garagiste à Bréal-sous-Montfort. Il décède le 4 avril 1945.
Parallèlement à la Confrérie Notre-Dame, en 1940, à l’initiative de Winston Churchill, premier ministre britannique, un autre grand réseau de renseignements, de sabotage, de parachutage d'hommes et d'armes voit le jour. Pour la France, c'est le colonel Buckmaster qui est chargé d'organiser les 93 réseaux SOE (Special Operations Executive).
En Ille-et-Vilaine, le Capitaine François Vallée, alias "Oscar", assure la fonction de chef du réseau Oscar Buckmaster.
Les fils du Docteur Pierre Dordain, Maurice et Jacques, sont membres de ce réseau. Arrêtés à leur domicile le 7 décembre 1943, ils sont déportés vers le KL de Neuengamme où ils meurent d’épuisement respectivement le 21 janvier et le 5 mars 1945.
Les sabotages et attentats
A partir de 1943, les sabotages et attentats, organisés par les réseaux et les mouvements de la résistance, s’intensifient en Ille-et-Vilaine. Toutes ces actions ont un objectif commun : la préparation du jour J (ou D day).
Les FTPF [10] , mouvement issu du Parti Communiste, agissent sous le commandement du Colonel Louis Pétri. Sur les secteurs sud et sud-ouest du département, deux compagnies sont constituées : l'une placée sous la responsabilité du capitaine Bourhis et l'autre sous celle du capitaine Jubin (la 12° compagnie).
Des résistants mordelais en font partie.
En 1943, à la gare l’Hermitage-Mordelles, ils font dérailler un train de marchandises et endommagent 13 wagons. La même année, ils sabotent également des lignes téléphoniques.
En 1944, les pylônes de la ligne à haute tension Pontchâteau-Rennes [11] sont détruits sur les communes du Rheu et de Mordelles, à cinq reprises. Les FTPF sabotent aussi les lignes téléphoniques, la voie ferrée Paris-Brest (au Rheu et à l’Hermitage) et la gare l’Hermitage-Mordelles, provoquant le déraillement de plusieurs trains.
A Mordelles, pour contrecarrer ces entreprises de destruction, les Allemands réquisitionnent des habitants de 18 à 60 ans pour surveiller les voies de chemin de fer, garder les pylônes électriques notamment à Beaumont et à Chavagne ou encore boucher les trous faits par les bombes lâchées sur l’aérodrome de Rennes Saint-Jacques. Celui-ci est en effet bombardé au moins sept fois de 1943 jusqu’à sa libération le 04 août 1944.
La Bretagne constituant un enjeu stratégique pour le contrôle de la Manche et de l'Atlantique, les Allemands y font édifier, dès le début de l’occupation, des bases sous-marines [12] et agrandissent les aérodromes bretons en vue d’envahir l'Angleterre. Ainsi, d’une superficie de 90 hectares en 1938, l’aérodrome de Rennes Saint-Jacques atteint 600 ha en 1943. Les forces ennemies y construisent le grand bunker du Haut-Bois, poste de commandement de tous les radars et batteries de la DCA [13] des environs. L’aérodrome devient alors la cible privilégiée de la Royal Air Force et de l’aviation américaine.
Maurice Costo se souvient des réquisitions ordonnées par Robert de Toulouse-Lautrec sous la menace de l’occupant [14] : "les Allemands venaient régulièrement chercher de la main d’œuvre à Mordelles car ils s’acharnaient à remettre en état les pistes après chaque bombardement. Les Mordelais réquisitionnés craignaient pour leur vie car le risque de se faire attaquer par les avions alliés était important. Ils étaient acheminés vers le camp d’aviation dans des camions plateforme. Les Allemands leur fournissaient le matériel pour combler les cratères formés par les bombes. Certains, discrètement, enfouissaient les pelles et les pioches au fond des trous, espérant ainsi épuiser les stocks".
Les bombardements
Le 8 mars 1943, peu avant 14 h 30, 67 bombardiers B17 [15] survolent Mordelles à 6000 mètres d’altitude. Pendant 20 minutes, l’aviation alliée largue 135 tonnes de bombes sur Rennes faisant près de 300 morts. Nos aînés se souviennent parfaitement du passage de ces avions, volant en formation dans le ciel mordelais : "même à très haute altitude, le passage des forteresses volantes était très impressionnant. Le trafic au-dessus de Mordelles était important car notre commune se trouvait sur le passage des Anglais quand ils allaient pilonner Rennes Saint-Jacques ou les bases marines de Saint-Nazaire et de Lorient. De la côte de Bellevue [16] , les Mordelais apercevaient les lueurs des bombardements.".
Marie Madeleine Vallée rappelle que ce jour-là, l'usine Air Liquide, située alors route de Lorient à Rennes, est également visée par ce bombardement. Son père, Constant Vallée[17], employé à l'usine, figure parmi les victimes. Par décision judiciaire, il est reconnu mort pour la France et est inscrit sur le monument aux morts de Mordelles parmi les victimes civiles.
Quelques mois après le bombardement de Rennes, le 18 septembre 1943, un B17, venant de larguer ses munitions sur l’aérodrome de Rennes Saint- Jacques, est touché par le feu de la DCA allemande. Maurice Costo, qui travaille alors sur le toit d’une maison, raconte : "un avion en difficulté tournoyait au-dessus du ciel mordelais. Dix hommes ont dû sauter en parachute. Trois d’entre eux ont été récupérés par la population dont un à la Chapelle-Thouarault, Georges C .Padgett. [18] L’avion a continué à faire des ronds dans le ciel et a perdu une bombe qui est tombée sur la mairie de Moigné sans exploser. Une nouvelle fois, Mordelles s’en est bien tiré".
En 1944, au fur et à mesure que se rapproche le jour du débarquement, les bombardements se multiplient dans la région de Mordelles. Dans la nuit du 7 au 8 mai 1944, Bruz est la cible des alliés : cette journée marque les esprits tant par la violence de l’attaque que par le nombre de civils tués. Beaucoup de Mordelais perdront des amis ou des membres de leur famille. On recensera en effet près de 200 morts. Pour Maurice Costo, ce fut la plus grande catastrophe du secteur et aussi la plus traumatisante : "les bombes tombaient à 8 km de là et pourtant à Mordelles, c’était comme s’il y avait un tremblement de terre".
A l’annonce du tocsin, certains se réfugient dans les abris creusés dans leur jardin, d’autres tentent de se protéger sous les meubles de leurs maisons. "Les lits faisaient des bonds à chaque explosion, les fenêtres s’ouvraient sous le choc des déflagrations, c’était terrifiant".
Pour contrecarrer les déplacements ennemis et empêcher les Allemands d’atteindre la Normandie, les alliés bombardent sans relâche les points stratégiques et notamment Rennes entre le 8 et le 12 juin 1944. La DCA allemande abat de nombreux appareils alliés : l’un d’entre eux aurait pu causer d’énormes dégâts sur la commune. En effet, juste après le débarquement, six bombes sont larguées par un avion en difficulté au-dessus de Mordelles.
"Les gens criaient « ils bombardent Rennes, on voit les bombes tomber ». On observait l’avion qui était touché et on apercevait des morceaux qui se décrochaient. Lorsque nous avons entendu les sifflements se rapprocher, nous avons compris qu’il s’agissait de bombes et qu’elles allaient tomber sur Mordelles et non sur Rennes. Nous nous sommes cachés sous les établis de la famille Hervé [19], les outils nous tombaient dessus, l’atelier était rempli de poussière" (Marcel Costo).
Cette fois, les bombes tombent tout près du centre de Mordelles, dans le champ de Francis Chauvel [20] , mais sans faire de victime.
Si à cette période de nombreux avions survolent le ciel mordelais, la commune est néanmoins particulièrement épargnée par les bombes qui ne l’atteignent qu’à trois endroits : au moulin de Mordelles, au niveau du Grand Pont (au Hayment de la cour, commune de Bréal) et à la Chesnaye.
Le débarquement
Initialement prévu en mai 44, le jour J est reporté d’un mois et ce, afin de parfaire le plan d’attaque de l’opération "Overlord" dirigée par le commandant en chef, le général Dwight David Eisenhower.
Plusieurs paramètres indispensables à la réussite de l’opération (mi-marée, pleine lune, météo) étant réunis le mardi 6 juin 1944, l’assaut est donné à partir de 6 h 30.
156 115 soldats anglais, canadiens et américains abordent les côtes de Normandie, 132 715 par bateau et 23 400 aéroportés.
A Mordelles, l’annonce du débarquement a des effets immédiats. Les bombardements s’intensifient autour de la commune, notamment à Rennes et près du château de la Chesnaye.
Mais plus d’un mois après le débarquement, les Alliés n’ont guère progressé, se heurtant à la configuration du bocage normand que les Allemands exploitent au mieux pour parfaire leur défense.
L’opération "Cobra" [21] savamment élaborée par le général Bradley, commandant de la 1ère armée, ouvre enfin une trouée décisive dans les lignes allemandes. A partir du 25 juillet, les troupes alliées poursuivent leur offensive en direction du sud et notamment vers Avranches, véritable porte d'entrée en Bretagne. L’objectif des Alliés est désormais de couper en deux la zone dévolue à la 7ème armée allemande et d’atteindre rapidement l'Ille-et-Vilaine et la Mayenne qui hébergent son PC.
Le général Patton, commandant de la 3ème armée, a entre autres pour mission de sécuriser le secteur de Rennes. En moins de 3 jours, 7 divisions défilent sur une route unique en direction du sud. C’est par la route d'Antrain que le général John Shirley Wood, commandant la 4e division blindée (DB) américaine, arrive à Maison Blanche [22] , le 1er août en début d’après-midi où il se heurte à une batterie de DCA allemande installée depuis 1943. La bataille s’engage alors entre les chars Sherman et les canons allemands.
A Mordelles, ce 1er août, sous l’égide du patronage, de jeunes Mordelais se divertissent dans le parc du château de la Haute-Forêt en compagnie de l’Abbé Renais. La bataille qui sévit à Maison Blanche s’intensifie et se ressent jusqu'à Mordelles. L’Abbé Boulanger décide alors de venir chercher les enfants avec sa barque remisée près du parc du pressoir, au lieu-dit La Chapelle (cf photo ci-dessous), afin de les mettre à l’abri. Le chemin du retour s’effectue donc sur le Meu pour éviter d’emprunter l’ancienne RN 24 qui aurait pu s’avérer dangereuse. Marcel Costo s'en souvient encore et précise que durant 3 jours, près de 6000 obus se sont abattus sur Maison Blanche, "les Mordelais vivaient au bruit des déflagrations et de la lueur des incendies".
Les Allemands cantonnés à Mordelles réquisitionnent les vélos, les chevaux et tous les moyens de transport leur permettant d’échapper aux Alliés. Le camp de subsistance de la Chevrie [23] qui servait aux Allemands à entreposer entre autres des céréales, est rapidement abandonné.
Le 03 août, devant la résistance allemande, le général John Shirley Wood décide de contourner et d’isoler Rennes en se déplaçant en 2 arcs de cercle distants de 15 et 30 miles [24] à l'ouest de Rennes hors de portée des batteries de DCA. Il scinde alors la 4e DB en deux groupes de combat CCA et CCB (command combat A et B). La CCA traverse Mordelles le 03 août vers 9 h du matin, puis arrive à Bain-de-Bretagne en fin de soirée. La CCB suit un itinéraire plus à l’ouest et atteint Plélan-le-Grand, puis Derval dans la soirée.
Le 3 août 1944, la libération de Mordelles
Il est 9 h ce 3 août 1944. Afin de percevoir le salaire relatif aux gardes des pylônes électriques qu’il a dû effectuer sous la contrainte de l’occupant, Maurice Costo se rend à la perception de Mordelles, située alors en face de la gare. A la hauteur de la route de l’Hermitage, il distingue au loin un long convoi de véhicules qui fait route en direction de la commune. Maurice réalise alors que ces 4 années d’occupation sont désormais révolues et que Mordelles vient de retrouver sa liberté.
Le bruit se propage vite dans la commune : la 4ème division blindée du Général Wood, après s’être heurtée aux batteries de DCA de Maison Blanche, vient libérer Mordelles. Tous les habitants suivent ce convoi en brandissant des drapeaux tricolores, saluent et applaudissent ces Américains qui viennent leur offrir la liberté tant attendue.
"Les drapeaux tricolores flottent aux fenêtres, les Mordelais chantent la Marseillaise. Les Américains s’arrêtent pour distribuer des chewing-gums, des cigarettes et du chocolat et aussi recevoir quelques bises" [25]. C’est l’effervescence le long du convoi.
Quelques prisonniers allemands défilent également, juchés sur les capots des jeeps, blindés, automitrailleuses ou camions Dodge et GMC. D’autres se cachent dans les tilleuls situés le long de l’église ou lèvent les mains pour se constituer prisonniers. L’occupant a déserté les lieux et le passage du convoi, qui dure 3 heures, s’effectue en toute sérénité. Il prend ensuite la direction de Plélan-le-Grand. Le lendemain, un nouveau convoi américain traverse Mordelles pendant une demi-heure afin de ravitailler, en essence et en eau, la colonne passée la veille.
Des Mordelais sous tension
Un événement mémorisé par Maurice Costo aurait pourtant pu se révéler dramatique en ce soir du 3 août 1944 : "lors du défilé, j’ai vu 2 voitures allemandes qui venaient de Rennes. Les soldats se tenaient sur les marchepieds extérieurs ce qui leur permettait de se protéger et s’enfuir plus rapidement en cas d’attaque. Apercevant le convoi de la 4 ème division blindée, les véhicules ont fait demi-tour dans la cour du boucher Émile Houdusse [26] et sont repartis en direction de Rennes. Malheureusement, le soir, ils sont revenus...".
En effet, le soir du 3 août, alors que les drapeaux flottent aux fenêtres et que les habitants savourent la libération, plusieurs voitures allemandes font leur apparition dans les rues de Mordelles. Leurs occupants viennent récupérer deux de leurs hommes faits prisonniers le matin même au camp de la Chevrie et détenus à la gendarmerie du domaine de l’Ecu sous la vigilance du gendarme Morin. Ce qu’ils ignorent encore, c’est que, plus tôt dans l’après midi, un convoi sanitaire les a déjà transférés.
Furieux de constater que les cellules sont vides, ils s’en prennent alors à l’Abbé Boulanger qui se trouve sur la place de l’église et menacent de mettre le feu à Mordelles s’ils ne récupèrent pas leurs compatriotes. La tension monte dans les rues de la commune et la menace proférée par les Allemands se répand rapidement ; les habitants quittent progressivement Mordelles pour se réfugier à la campagne.
"Le soir, le bourg était désert", précise Marcel Costo. Cette même journée, Louis Costo, en tenue de pompier, est arrêté et emmené à la gendarmerie.
A l’autre bout de Mordelles, les Allemands s’agacent de la présence de nombreux drapeaux tricolores aux fenêtres des maisons et s’en prennent alors à Félix Leroy [27] . Une altercation s’engage entre ce Mordelais et les Allemands qui tirent dans sa direction et le blessent au niveau de la hanche. Il réussit pourtant à s’enfuir.
Pour assouvir leur vengeance, ils incendient sa maison qui est entièrement ravagée par les flammes, malgré l’arrivée rapide des pompiers sur les lieux, toutefois entravée par les Allemands. Ces conditions d’intervention difficiles n’empêcheront pourtant pas 15 d’entre eux de lutter, de 21 heures à 2 heures du matin, afin d’essayer de circonscrire, en vain, cet incendie volontaire.
La photo ci-dessous montre Félix Leroy (à gauche) devant sa maison qui est incendiée le soir du 3 août 44.
L’employé qui travaille chez Monsieur Leroy, Vincent Cohan, assiste à la scène et prend conscience du danger réel et immédiat qui menace la commune. Il court alors prévenir les habitants qui enlèvent en toute hâte les drapeaux tricolores. De leur côté, Pierre et Paul Girot, couvreurs, décrochent celui qui trône en haut du bâtiment de la mairie et de l’école communale et le cache sous leur veste juste avant l’arrivée des Allemands.
"S’ils avaient trouvé des drapeaux dans Mordelles, je crois que le bourg aurait été totalement incendié", conclut Maurice Costo.
16 Mordelais morts pour la France
Ce chapitre est un hommage aux 16 Mordelais inscrits sur le monument aux morts de Mordelles, morts pour la France qu'ils soient des victimes militaires ou civiles. Il est malheureusement incomplet, faute d’informations.
Ces Mordelais sont présentés ci-après individuellement afin de perpétuer leur souvenir et contribuer au devoir de mémoire.
Pierre Riaux : fils du secrétaire de mairie, né le 24 février 1911 à Rennes. Incorporé dans le 317ème régiment d’infanterie. Mort le 8 septembre 1939 à Laval.
Paul Lefeuvre [28] : né en août 1910 à Dinard. Incorporé dans le 222ème régiment d’artillerie lourde. Décédé le 18 juin 1940 à Château de Billy-lès-Chanceaux (département de la Côte-d'Or).
Prudent Delamarre : né le 27 mai 1906 à Chavagne. Incorporé dans la 5ème compagnie de passage. Décédé le 30 janvier 1940 d’une grippe toxique, à l’hôpital complémentaire situé à l’école normale d’instituteurs de Saint-Brieuc.
Georges Laure : né le 29 octobre 1899 à Rennes. Incorporé dans le 41ème régiment régional. Décédé le 8 février 1940 au Mans suite à une maladie.
Pierre Rouvel : né le 29 octobre 1919 à Mordelles (route de Chavagne). Incorporé dans le 62ème régiment d’infanterie. Décédé le 12 mai 1940 à Liart (dans les Ardennes) atteint par un éclat d’obus.
Jean Pilard : ses parents vivaient dans la chaumière du Pressoir. Il était ouvrier chez Robert Tillon [29]. Né le 30 mai 1914 à l’Hermitage. Incorporé dans le 15ème régiment d’infanterie alpine. Décédé le 3 juin 1940 à Moyenneville (dans la Somme).
Constant Gérard : né le 7 février 1913 à Mordelles (la Faverais). Incorporé dans le 71ème régiment d’infanterie alpine. Décédé le 9 juin 1940 à Nanteuil-Notre-Dame (département de l'Aisne).
Henri le Pennec : né le 11 juillet 1918 à Saint-Méloir-des-Ondes. Matelot canonnier sur le cuirassé "Bretagne". Décédé le 3 juillet 1940 à Mers el- Kébir en Algérie, à bord du cuirassé coulé par la flotte anglaise.
Jules Hubert : né le 11 janvier 1910 à Mordelles. Y exerçait la profession de maçon route de Cintré. Pompier volontaire à Mordelles. Incorporé dans le 132ème régiment (dépôt de trains). Décédé le 6 juillet 1940 à Monségur (département de la Gironde). Photo de droite, ci-dessous.
Pierre Lohard : né le 5 décembre 1903. Incorporé dans le 11ème régiment d’artillerie coloniale. Décédé le 26 juillet 1940 à Épinal, dans les Vosges.
J. Delisle : aucune information.
Abbé Joseph Béziel : s’est largement impliqué auprès du patronage de la commune. Incorporé dans la 4ème section de COMA. Né le 5 janvier 1897 à Parcé (35). Décédé à la prison de Rennes, le 25 novembre 1940.
Robert Bourgeois du Marais : né le 1er mai 1915 à Marseille. Propriétaire du château d’Artois. Incorporé dans le 125ème régiment d’infanterie, 6ème bataillon. Décédé le 4 octobre 1944 à Rouans (département de la Loire-Atlantique) des suites de blessures de guerre.
René de Boutray : né le 20 juillet 1914 à Val Saint-Père (département de la Manche). Incorporé dans le 1er groupe de tabors marocains de Meknes. Décédé le 12 mars 1945 à Gambsheim (département du Bas-Rhin) des suites des blessures occasionnées par l’explosion d’une mine.
Constant Vallée : employé à l’usine Air Liquide, située route de Lorient à Rennes. Décédé lors du bombardement du 8 mars 1943 de cette usine. Il habitait au lieu-dit "le Val".
R. Darphin : domicilié à la sortie de Mordelles, route de Bréal.
Les résistants mordelais
le docteur Pierre Dordain ainsi que ses deux fils, Jacques et Maurice, Théodore Josse, Hervé Vandernoot, Marcel Evrard et Jean-Louis Persais.
Sources des photos
archives A.M. Nédellec, A. Thézé, H. Lelardoux, Famille Costo, A. Rault, L. Persais, Y. Dordain, E. Houdusse, famille Gruel, M. Bigot, site wiki-rennes.fr (photo les bombardements à Rennes), collection Mémoire Vive (carte postale prison de Rennes), site jeancharlespichon.com (photo de Louis Pétri), site avionslegendaires.net (image bombardier Boeing B-17), site absa3945.com (photo George C. Padgett), site akg-images.fr (image débarquement 6 juin 1944), site wiki-rennes.fr (combat du 1er août 1944 à Maison Blanche).
Notes et références
|