La Grande Guerre
Mordelles, comme beaucoup de villes en France, paie un lourd tribut à la guerre de 14-18. En effet, 122 soldats sont inscrits sur le monument aux morts. 92 d’entre eux, nés ou résidant sur la commune avant la mobilisation, périssent au cours des combats, les autres sont morts des suites de maladies ou de blessures après l’armistice. Les jeunes de la classe 14 sont particulièrement touchés.
Placée près d'une ligne de chemin de fer et d'une gare, Mordelles accueille également de nombreux blessés qui viennent se faire soigner dans son hôpital auxiliaire.
Cet article présente la commune de Mordelles tout d'abord telle qu'elle apparaît juste avant la mobilisation avec ses métiers, rues, habitations et commerces, puis telle qu'elle doit évoluer suite à son entrée dans le premier conflit mondial.
Mordelles, avant la mobilisation
Mordelles est une commune essentiellement rurale. En 1911, année du dernier recensement effectué avant la guerre, on y dénombre près de 320 exploitations agricoles, dont plusieurs sont implantées dans le bourg ou à proximité immédiate.
Bien que la majorité des Mordelais soient journaliers[1], cultivateurs ou domestiques, les métiers tournant autour du cheval sont également largement représentés. On y compte 13 charrons, 3 bourreliers[2], 6 maréchaux-ferrants.
Par ailleurs, afin de subvenir correctement à leurs besoins, les Mordelais sont obligés de cumuler plusieurs activités. Il est en effet fréquent qu’en parallèle du métier principal du chef de famille, ils exercent celui de cabaretier : on dénombre ainsi 32 cafés pour 2 309 habitants en 1914.
Illustration de Mordelles, avant la mobilisation, en carte postale avec tout d'abord, le bourg dans son ensemble : à cette époque, 22% des Mordelais habitent dans le bourg, essentiellement le long de la route principale[3].
Liste des commerçants mordelais à l'aube de la grande guerre (correspondance avec la photo numérotée ci-dessus) :
Puis, la campagne : les trois-quarts des Mordelais habitent effectivement à la campagne et sont en grande majorité cultivateurs, ménagères[4] ou journaliers.
Cependant, dans les différents lieux-dits, on trouve aussi :
- 5 cabaretiers : la Croix-Ignon, Grande-Fontaine, le Launay, Vincé.
- 1 chaisier : la Noë-des-Touches.
- 1 charpentier : le Haut-Plessix.
- 8 charrons : le Bois-Cholet, Les Communs, Nouillé, Vincé, la Garenne, Grande-Fontaine, la Basse-Grillonnais.
- 1 chiffonnier : Grande-Fontaine.
- 1 cordier : le Gesmier.
- 7 couturières : les Aubiers, le Haut-Plessix, la Croix-Ignon, Grande-Fontaine, la Noë de Senis, les Géraults, le Cas-Rouge.
- 2 couvreurs : l’Essart, le Cas-Rouge.
- 1 forgeron : Grande-Fontaine.
- 1 horticulteur : la Touche (aujourd’hui incorporé à l’agglomération).
- 3 maréchaux-ferrants : Maufaire, la Basse-Commerais.
- 3 menuisiers : le Petit-Chancé, la Noë-Diolé, la Gicquelais.
- 1 pâtre : le Moulin de Mordelles.
- 1 rémouleur[5] : la Capitainerie.
- 1 scieur de long[6] : Le Haut-Plessix.
- 5 tailleuses : l’Abbaye, la Prie, le Cas-Rouge, la Garenne, la Noë-des-Touches.
- 1 terrassier : la Touche (aujourd’hui incorporé à l’agglomération).
- 3 tisserands[7] : l’Abbaye, la Basse-Commerais, la Garenne.
Mordelles, avant la mobilisation versus aujourd'hui
Toujours avant la mobilisation, voici un zoom sur l'entrée de Mordelles lorsque l'on vient de Bréal-sous-Montfort et que l'on s'achemine vers la place de l'église. La présentation juxtaposée des photos d'antan à celles prises en octobre 2015 permet à la fois de se repérer et de visualiser d'un simple coup d’œil les évolutions.
Les numéros apposés sur les anciennes vues correspondent à divers commerces qui jalonnent autrefois cet espace.
Arrivée dans Mordelles par la route de Bréal aussi appelée avenue de Plélan. Au premier plan le Grand-Pont avec en arrière-plan le manoir du Pressoir, puis au bout de la route : la gendarmerie (Domaine de l’Ecu) et à droite le clocher de l’église.
Sur la photo de gauche, des militaires sur le Grand-Pont, route de Plélan. Ce sont fort probablement des blessés en convalescence à l’hôpital auxiliaire de Mordelles en 1915 (cf ci-après chapitres dédiés à cet hôpital).
L'ancienne photo ci-dessus comporte 6 numéros explicités ci-après, à mettre en relation avec les emplacements indiqués sur la vue aérienne de Mordelles présentée plus avant :
- N°1: LEBLAY - BIGOT / MENUISIER / DEBITANT[8] / TABAC (cf chapitres le concernant). Emplacement n°53.
- N°2 : EPICERIE VVE BERTHELOT tenue par Angélique Berthelot. Emplacement n°52.
- N°3 : Bâtiment appartenant à Louis Bernard qui tient une épicerie-quincaillerie située à gauche[9]. Emplacement n°39
- N°4 : Local actuel du restaurant l’Instant. Emplacement n°44 :
- PAVIOT / BOURRELIER / DEBITANT. Émile Paviot est bourrelier et sa femme, Anasthasie Faisant, débitante.
- Pierre David et sa femme, Clémentine Lecoq, vendent du beurre et des œufs. Le commerce des œufs ne se développera réellement qu’après la guerre.
- N°5 : SALMON / DEBITANT / CYCLES. Alexandre Salmon est mécanicien et marchand de vélos et sa femme, Zoé Guilloux, débitante. Emplacement n°45.
- N°6 : entrée de l’actuelle rue du docteur Dordain.
- François Bienassis est tailleur.
- Félix Pilet est agent d’assurances.
- Émile Picquet, né à Mordelles en 1880, est menuisier et sa femme, Azeline Pignon, couturière.
- Emmanuel Gentil est mécanicien et sa femme, Pauline Mesnil, débitante.
- Charles Agaesse, né à Mordelles en 1876, est débitant et charcutier. Emplacement n°46.
- N°7 : FONTAINE EPICERIE. Jean-Louis Fontaine, né à Mordelles en 1863 et sa femme, Marie Lefeuvre, sont épiciers. Emplacement n°51.
- N°8 : BERTHELOT / CORDONNIER / DEBITANT : Pierre-Marie, né à Mordelles en 1864, est cordonnier et sa femme, Adèle Gaignoux, débitante. Emplacement n° 50.
- N°9 : en 1912, BOULANGERIE JOUAULT / VEND A BOIRE ET A MANGER / ECURIE. Marie Jouault, née à Mordelles en 1892, est débitante et boulangère. En 1913 et pendant la guerre, Léon Souhal épouse Marie Jouault. La boulangerie Jouault devient alors BOULANGERIE SOUHAL. Emplacement n°47.
Mordelles à l'arrière de la Grande Guerre
[10] En France, 18 % des 7,9 millions d'incorporés, troupes coloniales comprises, soit 1,5 million d’hommes, sont tués durant le conflit ou au cours des six mois qui suivent.
A Mordelles, 122 soldats sont inscrits sur le monument aux morts. 92 d’entre eux, nés ou résidant sur la commune avant la mobilisation, périssent au cours des combats, les 30 autres étant morts des suites de maladies ou de blessures après l’armistice.
Le samedi 1er août 1914, le tocsin qui retentit à 17 heures annonce aux Mordelais la terrible nouvelle : la guerre est déclarée et l’ordre de mobilisation générale est décrété sur tout le territoire national.
La classe 14, la plus meurtrie
En France comme à Mordelles, les jeunes gens nés en 1894, ayant 20 ans au déclenchement des hostilités, subissent le taux de perte le plus élevé de toutes les classes mobilisées : il s’agit de la classe 14.
Ainsi, 99 conscrits[11] de la classe 14 sont recensés sur le canton de Mordelles dont 18 Mordelais. Ces derniers, moins aguerris que les classes 1911-1912-1913 déjà sous les drapeaux au titre du service militaire, payent un lourd tribut au conflit puisque seulement 10 sur les 18 mobilisés reviennent sains et saufs.
Composition de la classe 14 :
- Constant Bigot du bourg né le 31/01/1894 à Mordelles
- Émile Bigot de l’Abbaye né le 13/05/1894 à la Chapelle-Thouarault
- Jean-Baptiste Bufférand du Pressoir né le 23/05/1894 à Talensac
- Henri Costo du bourg né le 08/04/1894 à Mordelles
- Donatien Cottais du Bois-Cholet né le 25/04/1894 à Mordelles
- Louis Darot du bourg né le 03/12/1894 à Mordelles
- Pierre Deschamps du Cas-Rouge né le 29/04/1894 à Mordelles
- Pierre-Marie Fontaine de la Brosse né le 13/03/1894 à la Chapelle-Thouarault
- Jean Fulbert de Vincé né le 17/02/1894 à Bréal-sous-Montfort
- François Jehannin des Basses-Noës né le 16/09/1894 à Moigné
- Jean-Pierre Jouault de la Noë-Diolé né le 12/10/1894 à Mordelles
- Albert Lelu du Launay né le 15/11/1894 à Vezin
- Alfred Morin de Sermon né le 13/10/1894 à Paris
- Albert Pénard de l’Essart né le 12/05/1894 à Mordelles
- Francis Priou du bourg né le 17/01/1894 à Mordelles
- Pierre Ridard des Géraults né le 08/05/1894 à Mordelles
- Prosper Rouesné de la Rivière-Bouvier né le 04/12/1894 à Mordelles
- Jean Saulnier du bourg né le 22/03/1894 à Mordelles.
Alors que de son côté, dans le bulletin paroissial, le curé Julien Debroise met les jeunes conscrits en garde contre certaines traditions, Henri Lelardoux revient dans son livre sur ces moments particuliers vécus et décrits par son père, lui-même conscrit à Chavagne en 1912 :
Après avoir passé le conseil de révision à la mairie du chef lieu de canton (Mordelles), les conscrits reconnus « Bons pour le service » revenaient dans leur commune avec des chapeaux tout enrubannés, garnis de petits cartons arborant des slogans évocateurs « bon pour la France » et aussi « bons pour les filles ». C’était l’occasion pour ces jeunes gens de faire la fête pendant plusieurs jours, jusqu’à épuisement. Ils faisaient le tour de la commune en chantant des rengaines de conscrits et allaient rendre visite à toutes les filles nées la même année qu’eux. Partout, l’accueil était festif… et bien arrosé.
Les survivants de la classe 14
Le dimanche 8 avril 1934, sous l'impulsion de Constant Bigot (bouilleur de cru dans le bourg) et des anciens combattants, les survivants de la classe 14 du canton de Mordelles se réunissent pour fêter leurs 40 ans.
Sont présents :
- Pauline Gentil (cabaretière)
- Jean-Louis Persais (scierie)
- Henri Rouault (maréchal expert)
- Constant Jehannin (boucher)
- Constant Bigot (bouilleur de cru)
- Emmanuel Gilles (cidrerie) tenant le panneau "Survivants classe 1914".
Collection particulière, archives A.M. Nédellec
Le docteur Dordain assure la présidence de cette rencontre, M. Meignen, chef de la brigade de gendarmerie, la vice-présidence, Robert de Toulouse-Lautrec, maire et conseiller général, étant nommé président d'honneur.
Après la célébration d'une messe en l'honneur de leurs camarades décédés sur les champs de bataille (au nombre de 8 sur les 18 conscrits mordelais de la classe 14 mobilisés), les quadragénaires déposent une gerbe au pied du monument aux morts.
A midi, un vin d'honneur est offert au café Morice suivi d'un banquet servi par Pauline Gentil. La journée se poursuit par diverses distractions dont un concours de palet dans la cour de gendarmerie.
La classe 15 sur le départ
La lecture des éditions du bulletin paroissial de Mordelles de la période 14-18 témoigne de l'implication de l'Eglise pour accompagner les soldats, entretenir leur moral, les préparer au combat, voire à la mort.
Le curé de Mordelles multiplie les conseils pratiques et d'hygiène à tous les soldats qui partent.
Voici un extrait du bulletin paroissial de début 1915 s'adressant à la classe 15 :
Un hôpital auxiliaire à Mordelles en 1914-1915
«Cette organisation m’a ému et émerveillé » : ainsi s’exprime, le 2 octobre 1914, le rédacteur d’un article de L’Ouest-Éclair, l’ancêtre de Ouest-France, en évoquant l’hôpital de Mordelles, présenté comme un modèle "d’hôpital rural" dans l’édition du lendemain.
Un hôpital à Mordelles ? L’information pourrait surprendre.
Elle n’a rien de très extraordinaire à dire vrai, dans cette France de 1914 où nombreux sont encore les "hospices" – ainsi qu’on les nomme – dans les chefs-lieux de canton ruraux, parfois dans les simples bourgs : c’est par dizaines qu’on compte alors en Ille-et-Vilaine les établissements de ce type, en général tenus par des religieuses. Pourtant, dans le cas présent, cet hôpital sort bien du commun : il s’agit en effet, dans le contexte de guerre que connait la France depuis quelques semaines, d’une création ex-nihilo due à l’initiative privée de quelques personnes.
Carte postale écrite par Gaston Tabary le 14 mai 1915 pendant son hospitalisation à Mordelles
Aux origines de l’hôpital auxiliaire n° 304
Dans son livre de paroisse, Julien Debroise, curé doyen de Mordelles, attribue l’idée de cet hôpital à Cécile Le Gonidec de Traissan, épouse d’Olivier de Farcy, neveu du maire et châtelain de La Ville-du-Bois.
« Désireuse de payer son tribut à la guerre » écrit l’ecclésiastique, elle serait venue « lui soumettre son idée d’organiser une ambulance militaire », ambulance au sens qu’on donne alors à ce terme, celui d’hôpital militaire. Et le curé « de lancer l’affaire en en parlant du haut de la chaire, le dimanche suivant ». Une affaire rondement menée : « en quelques jours, l’école libre des filles est mise en état pour recevoir trente blessés » tandis que l’on prend des mesures pour que la rentrée des classes puisse se faire « quand même à l’époque fixée, mais dans les locaux préparés pour une école maternelle ». Rapidement, à ces premiers locaux, on en associe de nouveaux dans les bâtiments réunissant l’école communale de garçons, la justice de paix et la mairie, formant ce que, dans le jargon militaire du temps, on qualifie d’hôpital auxiliaire (HA), ici l’HA n° 304, qui deviendra l’HA n°11 en 1915.
L’école privée des filles (année 1910 environ)
La modeste structure est dirigée par le Dr Eugène Schwœbel, un médecin originaire de la Marne, installé à Amélie-les-Bains dans les Pyrénées-Orientales mais qui, après son mariage avec une Rennaise - fille d’un des fondateurs du journal L’Ouest-Éclair –, a l’habitude de passer l’été dans la propriété familiale du manoir du Pressoir. Il est épaulé par toute la bonne société de la commune ou des environs : Mme Olivier de Farcy, bien entendu, mais aussi Mme de la Bourdonnaye de Blossac qui vient depuis son château, « à bicyclette souvent » nous dit le curé, « tous les jours consacrer trois à quatre heures à nos soldats », Mme Angot (domaine de la Perruche), Melle Marguerite de Farcy (Château de Beaumont) ou encore les épouses des deux médecins, Georges Gâteau et Joseph Maheu, etc. Dans le même temps, les dons affluent, en argent ou en nature, de Mordelles bien sûr, mais aussi des communes des environs, Bréal, Cintré, Chavagne, Saint-Thurial.
Des soldats convalescents de toutes origines
L’implantation d’un hôpital à Mordelles au cours des années 1914-1915 ne tient cependant pas seulement à l’initiative de ces quelques personnes de bonne volonté. L’hôpital auxiliaire n° 304 ne peut voir le jour qu’en raison de la présence d’une ligne de chemin de fer et d’une gare dans la commune, en l’occurrence celle du tramway du réseau départemental reliant Rennes à Plélan-le-Grand : on ne peut, à cette date, imaginer transporter des dizaines de blessés autrement que par le train même si ceux qui viennent à Mordelles sont de ceux qui ne demandent pas trop de soin.
Pour la plupart, ils ont en effet d’abord été soignés à Rennes, notamment à l’hôpital complémentaire n° 1, implanté dans le lycée des garçons – l’actuel lycée Zola –, et ne viennent ici qu’en convalescence.
Soldats sur le Grand Pont (route de Bréal), probablement en convalescence à l’hôpital de Mordelles
Qui sont ces militaires convalescents ? Il n’y a guère de profil type : on trouve parmi eux de jeunes conscrits comme des réservistes ou des territoriaux. Par ailleurs, comme l’écrit le curé de Mordelles, « tous les régiments de France et des Colonies se trouvent presque représentés dans nos ambulances » : si les fantassins sont les plus nombreux, en toute logique – parmi lesquels des chasseurs à pied, des chasseurs alpins ou des tirailleurs nord-africains –, on trouve aussi des artilleurs, des cavaliers – dragons, cuirassiers ou hussards –, des sapeurs et même, fin 1914, des fusiliers-marins, rescapés des combats de Dixmude. « Au point de vue religieux, c’est le même mélange » s’enorgueillit l’ecclésiastique : « de bons chrétiens, des indifférents, des juifs, des musulmans et même des impies notoires », implicitement moins fréquentables à ses yeux donc que juifs et musulmans... Parmi les quelque 500 soldats accueillis en 1914-1915, l’on compte en effet une cinquantaine de tirailleurs marocains ou tunisiens, tel cet « Africain » décrit par le journaliste de L’Ouest-Eclair alors qu’il se félicite de la nourriture : « Bon cousse cousse ». Nul doute d’ailleurs que ce furent là parmi les premiers – sinon les derniers … – ressortissants d’outre-mer étant jamais venus à Mordelles [12].
Des centaines de blessés soignés en l’espace de 13 mois
Le nombre de militaires présents ici varie d’un mois à l’autre, au gré des opérations sur le front, des guérisons et des retours de ces soldats vers leurs dépôts et les premières lignes aussi. L’on compte ainsi 42 arrivées en septembre 1914, au moment de la mise en place de l’HA n° 304 – les premiers étant signalés le 16 de ce mois. 77 suivent en octobre, 57 en novembre, 57 à nouveau en décembre, par vagues successives et de manière fort irrégulière. Ils sont par exemple 13 à arriver le 10 janvier 1915, alors qu’ils étaient 38 le 6 du même mois ; pas un ne viendra ensuite jusqu’au 27 février : 22 blessés et malades débarquent du train ce jour-là. Les derniers semblent avoir été admis en août 1915. A cette date, seuls une vingtaine de lits sur les 77 que compte l’hôpital sont occupés.
En mars 1915, l’une des deux "ambulances" – celle de la mairie – avait déjà été fermée, avant que le 13 avril, « les derniers soldats [ne] rentrent au dépôt », à Rennes, conduisant à une suspension de toutes les activités de l’HA n° 11 pour quelques semaines. L’arrivée de nouveaux blessés en mai, juin et juillet surtout, suite à l’offensive lancée en Artois par le général Joffre, avait conduit à une réouverture, temporaire cependant.
En août 1915, le Dr Schwœbel, cheville-ouvrière de l’hôpital mordelais, tombe malade, ce qui fait craindre au curé une nouvelle fermeture de la petite structure : il faut en effet faire venir de Rennes un médecin militaire, compliquant la tâche des autorités sanitaires.
Le manoir du Pressoir, propriété du Docteur Schwœbel gracieusement mise à disposition des soldats en convalescence qui venaient pêcher dans le Meu.
La fermeture intervient en fait deux mois plus tard, le 28 octobre 1915 très précisément, « par manque de blessés ou malades peut-être », mais aussi et surtout selon le curé de Mordelles, « à cause de la maladie du docteur Schwœbel qui continue ». « Lui seul pourra en assurer la réouverture » écrit-il alors. Et d’espérer « que Dieu daigne donc lui donner force et santé », car « le départ des soldats privera [la paroisse] de précieux concours pour nos offices, spécialement en la personne de M. l’abbé Servoin », un prêtre-infirmier arrivé à l’HA n° 11 au cours du printemps 1915, et qui « dans les trois mois qu’il [y] a passés, a fait beaucoup de bien à l’ambulance et à l’église ». On le voit : les préoccupations du curé, qui n’a eu de cesse de se féliciter de l’assistance des blessés à la messe, ne sont pas, à cette date, purement médicales.
Il n’en reste pas moins qu’en l’espace d’une douzaine de mois, de mi-septembre 1914 à fin octobre 1915, 476 militaires blessés ou malades ont été accueillis à Mordelles, illustrant ainsi que, si la Grande Guerre fut bien évidemment avant tout l’affaire des départements de la zone des opérations, les communes situées à l’arrière en subirent aussi les conséquences, de manière indirecte au moins. L’on vécut ainsi, à Mordelles comme dans nombre d’autres localités d’Ille-et-Vilaine et de Bretagne, la guerre certes par procuration mais très concrètement, soldats blessés mais aussi réfugiés de Belgique[13] ou prisonniers de guerre allemands venant ici donner un visage au conflit en cours.
Correspondances du front
La Première Guerre mondiale est la période de l'histoire de France où l'on a le plus écrit.
Les lettres ou les cartes postales échangées entre l'arrière et le front sont en effet l'unique moyen de garder un contact avec ses proches et représentent un véritable soutien moral indispensable pour résister aux souffrances et atrocités de ce conflit.
Courriers adressés au curé de Mordelles
Plusieurs soldats mordelais partis au front écrivent au curé de la commune, Julien Debroise.
Ce dernier sélectionne certains de ces courriers qu’il publie dans les bulletins paroissiaux.
Ci-dessous, quelques-uns de ces écrits retranscrits tels quels sans corrections stylistiques ni orthographiques.
Ils sont issus de bulletins publiés à deux époques bien différentes : début année 1915 et mi-année 1917.
* Le premier Noël dans les tranchées (bulletin paroissial de février 1915)
Tranchée de X…., 27 décembre.
« Monsieur le Curé,
« je viens, à l’occasion du nouvel an, vous offrir mes meilleurs vœux de bonheur. Que Dieu vous accorde la santé et tous les autres biens que vous désirez pour vous et pour ceux qui vous sont chers. D’ailleurs, je ne saurais mieux dire que de répéter la formule que l’on dit chez nous : « Bonne année, bonne santé et le Paradis à la
fin de vos jours ».
« Pour moi, je suis en bonne santé, en dépit de la vie de taupes que nous menons depuis deux mois. La nuit de Noël, double concert dans les tranchées, l’un par les « Boches », l’autre par nous. Vers 9 heures, les officiers de ma compagnie et une cinquantaine de sous-officiers et soldats, nous montons sur les tranchées de première ligne et nous exécutons notre programme. Le voici : Le chant du départ…, Il est né le divin Enfant…, (…), La Marseillaise. Il faisait un beau clair de lune. Nous étions à 200 mètres des « Boches », debout. Certainement ils nous voyaient. D’un feu de salve, ils nous descendraient tous. Ils n’ont pas tiré un coup de fusil pendant tout le temps que nous avons chanté. Mais dès que nous avons fini, ils ont commencé une fusillade intense qui a pris fin vers minuit. « De petits incidents comme celui-là nous font du bien. Je termine, M. le Curé en vous priant d’agréer etc.
« X.., ».
« Dimanche, 3 janvier 1915.
« Monsieur et cher Curé,
« Il me serait impossible de laisser passer le nouvel an sans vous offrir mes meilleurs vœux de bonne et heureuse année. Espérons que par nos incessantes supplications, Dieu nous rendra la paix en finissant cette terrible guerre.
« Depuis deux mois, nous sommes cantonnés dans le même village, ce qui m’a permis d’assister, tous les dimanche, à la sainte messe, ainsi qu’à un service, recommandé par le colonel, pour
tous nos soldats morts pour la Patrie. Je n’ai pu assister à la messe de minuit, j’étais dans les tranchées de première ligne. Nous entendions très bien les « Boches » chanter et jouer de l’accordéon ; mais ils se turent bientôt au réveillon que notre « 75 » leur sonna[14]. Ce fut alors notre tour de chanter.
« Monsieur le Curé, nous nous unissons à vos prières et espérons que l’année 1915 sera pour tous plus favorable que l’année dernière.(…)
« X…, »
N., 25 décembre.
« Cher Monsieur le Curé,
« Quoique très éloigné de vous, je ne saurais laisser passer le premier de l’an sans vous offrir mes meilleurs vœux, c’est-à-dire de bonheur, de santé, de longue vie, en un mot tout ce que votre cœur désire.
« Aujourd’hui, jour de Noël, j’ai eu l’avantage de pouvoir assister à la messe. Il n’y a encore que cela pour vous remonter le moral et vous redonner du courage. Je puis vous dire que je suis très bien placé à ce point de vue, je peux librement remplir tous mes devoirs, nous avons un aumônier qui se dépense sans compter.
« Ce soir, je pars pour installer des canons de 37 mm en première ligne : je vais encore voir le feu d’artifice produit par les fusées que lancent à profusion ‘Messieurs les Boches », afin de ne pas être surpris. Et puis, de temps en temps, des balles avec leur sifflement
aigu, des bombes avec leur explosion formidable, et pour couronner la soirée, les obus avec leur craquement sinistre. Ce qu’il y a d’ennuyeux, c’est toujours le même programme, cela devient monotone.
« Il est vrai que de notre coté, comme récompense, nous leur envoyons des pruneaux difficiles à digérer, surtout quand les fameux porte-cigares de 155 de long[15] se mettent de la partie, comme l’autre jour, des charges de 15 kilos de mélinite[16] sous leurs fils de fer. Tout cela est de nature à les rendre méchants. Mais pourquoi sont-ils venus chez nous ! Qu’ils s’en aillent, et au plus vite !
« Enfin, espérons que l’année 1915 remettra un peu de baume sur toutes les blessures et que nous pourrons reprendre notre douce vie de famille.
« En attendant l’heure de la délivrance, je vous salue respectueusement.
« X…, »
* Les Mordelais sur le front Ouest (bulletin paroissial de mai 1917)
Monsieur le Curé, je suis heureux de vous dire que c’est ma compagnie qui a déclenché dernièrement la marche en avant. Le capitaine nous a donné l’exemple et je vous assure qu’il n’a pas peur. Après un fort bombardement, on est parti sans trouver de résistance, si ce n’est quelques Boches qui, avec des mitrailleuses, nous arrêtaient. Le lendemain, on a plus hésité, malgré les rangées de fil de fer barbelé qui se trouvaient en avant. On a franchi
le terrain, à 6 heures du soir, sans savoir si on s’exposait au danger. Mais non, rien de sérieux, rien que les mêmes Boches qui se sauvaient, en tirant toujours, puis quelques canons de 105 de 77 qui nous envoyaient de temps en temps, des rafales. Nous continuons toujours notre marche en avant, sans manger ni dormir. Le lendemain, on arrive dans une plaine, nous nous couchons, chacun dans son trou. Par malheur, nous sommes découverts, les canons crachent sur nous, sans faire des victimes. Seules, une ou deux mitrailleuses ont blessé et tué quelques soldats. Mon cher Curé, en finissant, je dois vous dire que les Boches dans leur retraite ont fait mille atrocités : tout brûlé, l’eau empoisonnée, les routes coupées, les rails de chemin de fer dérangés, les pommiers saccagés, les arbres abattus pour barrer les chemins. Ils se sont retirés à 40 kilomètres en arrière où ils disent qu’ils nous attendent. On ira prudemment, mon cher Curé, j’espère que cette lettre va vous faire plaisir. Écrivez-moi, je serai content et surtout ne m’oubliez pas dans vos prières, à l’occasion des grandes fêtes de Pâques qui arrivent.
« Votre tout dévoué serviteur,
X… »
Qu’allez-vous penser de mon si long silence ? Eh ! bien, c’est un peu de négligence. Mais depuis quelques mois, il me reste très peu de temps pour écrire, je travaille dur.
« Pourtant, je trouve bien le temps de faire toujours mes bons devoirs de chrétiens, je suis toujours le jeune homme que vous avez connu. Ma santé est excellente, malheureusement ma blessure (qui va mieux) n’est pas encore guérie. Si elle l’était, je retournerais volontiers faire mon devoir envers la patrie. Je vous prie de croire que je voudrais bien être à la poursuite des Boches qui battent en retraite en ce moment. Quel courage Dieu nous donne pour
suivre ces maudits teutons, enfin sortis de leurs tranchées. Vous le savez, j’ai toujours eu confiance et maintenant plus que jamais, le ciel ne va-t-il pas hâter notre délivrance. A bientôt le succès, à bientôt les lauriers si bien gagnés sur un peuple maudit, que nous
porterons au jour glorieux de la victoire finale.
« Je ne puis vous dire, cher Monsieur le Curé, avec quelle joie je suis le communiqué en ce moment, comme tout bon soldat, comme tout bon français. Je suis sans nouvelle de plusieurs bons camarades de Mordelles, tout probablement ils sont engagés dans le conflit sanglant de ces jours-ci.
« Cher Monsieur le Curé, pour aujourd’hui je vais cesser de parler avec vous, mais dans l’attente de vous voir (si je puis aller en permission)ou de vous lire (si je n’y vais pas).
« Recevez mon respectueux souvenir,
Y…, »
Courriers pour rassurer les familles
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Alexis Georges, jardinier.
Alexis Georges[17] travaille comme jardinier-chef de cultures au Château de la Haichois dès 1910.
Il épouse Jeanne Lepage, mordelaise et s’installe dans
la basse cour du château avec ses enfants et son neveu Georges
qui prendra la suite de son oncle.
Après son service militaire au 2e régiment de cuirassiers en 1905-
1907[18] et un passage par
le collège St Vincent de Rennes, Alexis Georges est affecté comme
réserviste au 1er régiment d’artillerie coloniale de Lorient. Il rejoint
ce régiment lors de la mobilisation le 13 août 1914, ne gagnant le
front que le 8 septembre et échappant ainsi au carnage
de la bataille de Rossignol où le corps colonial est presque anéanti
le 22 août. En juin 1915, il est affecté au 3e régiment d’artillerie
coloniale. Le département de la Somme est traversé par la ligne
de front de l’automne 1914 à l’automne 1918. On y trouve des troupes tout au long de la période. Le corps colonial d’Alexis
Georges est dans ce secteur à l’été 1915, date à laquelle il envoie
une carte postale à la famille Bigot de la Noë des
Touches. Dans les semaines qui suivent, il passe en Champagne,
pour participer à l’offensive du 25 septembre.
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Pierre Sauvée, agriculteur.
Pierre Sauvée (le 2e en partant de la droite), prisonnier à Gussen
en Allemagne, envoie cette photo à sa famille en 1917.
Originaire de Pacé, Pierre Sauvée s’installe dès 1912 à Mordelles aux
Fontenelles où il est agriculteur. Il épouse en octobre 1913 Lucie
Hirel du Pâtis de la Roche. Vers 1926, il quitte les Fontenelles pour
l’Essard puis rejoint Maufaire où il décédera en 1948 des suites
d’infections respiratoires liées au gaz moutarde inhalé pendant la
guerre. Mobilisé le 14 août 1914, il rejoint le 283e régiment d’infanterie
en 1916. Le 15 février 1917, il est fait prisonnier au Bois le
Prêtre[19] et est interné à Gussen (Allemagne)
d’où il est rapatrié le 4 décembre 1918.
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Louis Zimmermann
Louis Zimmermann appartient au 76e régiment d’infanterie territorial.
Il écrit cette carte postale lors d’une étape de ce régiment
à Mordelles. Il est en effet fréquent que des troupes de soldats
fassent une étape à Mordelles avant de rejoindre le camp de Coëtquidan
dans le Morbihan.
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Françoise Hamon
Epouse du brigadier de gendarmerie à cheval du domaine de l’écu
à Mordelles (actuels locaux du CIAS), Françoise Hamon écrit à sa
filleule, elle lui dit avoir de bonnes nouvelles de son mari au front
et espère une fin prochaine à la guerre.
Son mari, le brigadier Pierre Hamon, fils d’agriculteur sera décoré
de la médaille militaire le 23 juillet 1918.
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Marie Bienassis
Fille du tailleur à façon, François Bienassis, installé à l’entrée de
l’actuelle rue du docteur Dordain donnant sur la place de l’église,
Marie Bienassis née à Mordelles en 1889 envoie cette carte à sa
cousine.
Comme Françoise Hamon (ci-dessus), elle espère proche
« la fin de cette vilaine guerre » et dit avoir de bonnes nouvelles de
ses proches au front.
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A nos morts
Réalisation d'un monument
Avant même la signature de l’Armistice, dès le 20 octobre 1918, Paul de Farcy, maire de Mordelles, propose d’ériger un monument.
Lors de sa séance du 26 décembre 1920, le conseil municipal sous la mandature de Robert de Toulouse-Lautrec décide d’investir dans la réalisation d’un « monument extérieur (...) pour perpétuer à jamais le glorieux sacrifice des héros de Mordelles ».
En plus du vote d'une subvention qui ne représente pas assez d'argent, il est décidé début 1921 d'ouvrir une souscription publique.
Le 16 juin 1921, la commission municipale en charge de l’étude du projet « plutôt que d’adopter le type courant de pyramide, colonne ou stèle, qu’on retrouve dans la plupart des communes, a fixé son choix sur « un Poilu en pied », symbolisant la résistance, d’une hauteur de 2,10 mètres et qui sera exécuté en fonte de fer bronzée ».
La statue du poilu casqué, l'arme à la main, est réalisée par le sculpteur français Charles-Henri Pourquet dont la signature apparait sur le côté gauche du monument.
La réalisation du piédestal galbé est confiée à Hubert Coignet, fabricant de bétons à Paris.
Les encadrements décoratifs sont l’œuvre du peintre Pierre Aubin (né en 1884 à Rennes et décédé en 1945 à Mordelles).
Si au cours de l’été 1921, la municipalité projette d’implanter le monument au milieu de la place publique (actuelle place Saint-Pierre), elle décide finalement de l’élever à l’extrême gauche de la place.
Lors de son inauguration le dimanche 6 août 1922, le monument réalisé par les architectes Eugène et René Guillaume est entouré de 4 obus reliés par une chaîne. Pour le préserver de toute dégradation, le conseil municipal décide d’y adjoindre une « grillette » à la fin de l’année 1922.
En 1949, sur proposition du maire, le conseil municipal vote en faveur de l’édification d’un mât métallique à l’arrière du monument aux morts pour permettre de hisser le drapeau national.
Aux 113 Mordelais morts pour la France en 1914-1918, inscrits sur le monument, viennent s’ajouter les noms de neuf soldats décédés des suites de maladies ou inscrits à la demande de familles mordelaises ainsi que ceux des victimes de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre du Maroc.
Mise en place d'une plaque commémorative
Au printemps 1919, l'abbé Debroise et la municipalité décident d'apposer dans l'église paroissiale une plaque commémorative en souvenir des soldats mordelais victimes de la Grande Guerre.
Elle est décrite dans le bulletin paroissial du mois de mai comme étant composée de "quatre tables de marbre rougeâtre, encadrées dans des panneaux en chêne, sur le modèle des sculptures des confessionnaux, à placer dans les deux embrasures des deux avant-dernières fenêtres, dans les bas-côtés de l'église. Les noms des grands disparus seraient gravés en lettres rouges ou dorées".
Son inauguration est fixée le jour de la fête du mardi gras, le 17 février 1920, date à laquelle une "Fête des poilus" est organisée.
Sources des photos et des textes
archives A.M. Nédellec, Y. Lagadec, revues municipales Infos Mordelles juin 2015 et Mordelles Mag' novembre 2018, expositions réalisées dans le cadre du centenaire de la Grande Guerre 14-18, A. Thézé, L’Ouest-Éclair, livre de paroisse de Julien Debroise, M. de Gaudemar (petite fille du docteur Schwœbel), extrait du livre d'H. Lelardoux, photos R. Birot (2018).
Notes et références
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