Introduction
Pendant toute la première moitié du XXe siècle, dans nos campagnes et notamment à Mordelles, le cheval de trait est un compagnon précieux. Il est puissant : 2 chevaux, à eux seuls, peuvent tracter une charrette supportant un poids de l’ordre de 1 200 kg. Il est robuste et très résistant au froid ce qui en fait l’animal idéal pour livrer, été comme hiver, lait, cidre et autres produits de la ferme.
Le cheval de selle est également très prisé. Il anime de nombreuses fêtes communales grâce à des raids hippiques attelés sur route ou encore des courses à l’hippodrome du Grand Pont de Mordelles.
Principal outil des fermes mordelaises
Dans la première moitié du XXe siècle, c’est le nombre de chevaux nécessaire au bon fonctionnement d’une ferme qui définit son importance.
Ainsi, à Mordelles, une exploitation de 30 hectares, employant 3 chevaux, est une très grande ferme.
Dans leur grande majorité, les fermes mordelaises cultivent de petites parcelles de terre, possèdent un seul cheval et une dizaine de vaches.
Quelques-unes parviennent même à nourrir toute une famille en n’ayant qu’un cheval, voire un âne et une vache, quelques volailles et un potager.
Les fermiers mordelais se déplacent très rarement pour acheter leurs chevaux, ils sont démarchés à domicile par des maquignons qui sillonnent la campagne.
Pour le travail dans les champs
Le cheval est beaucoup utilisé dans les champs où il tracte charrues, faucheuses, faneuses, lieuses, râteleuses, batteuses...
Voici une batteuse conçue par la fabrique Jeantil de Mordelles. Sur la photo prise au lieu-dit La Noé Couette, figurent Pierre Galerne, Auguste Blanchet, Gimbert Joubrel, Henri Gilbert et Léon Nizan.
Le cheval a ainsi ses heures de gloire jusqu’à l’arrivée du tracteur qui apparaît juste avant la seconde guerre mondiale et se généralise vers 1960.
Dans les souvenirs de Michel David et Maurice Costo, il n’y a que 3 tracteurs à Mordelles.
De marque Fordson, ils appartiennent aux grandes fermes à trois chevaux de "La Godelais", la "Basse-Grillonnais" et du "Vert Bois" ; ils sont équipés de roues en fer dentelées pour favoriser l’accroche sur la terre argileuse et ne peuvent pas emprunter les routes qu’ils endommageraient. Leur usage reste donc purement et simplement limité aux champs.
Pour les livraisons
Le cheval sert aussi à effectuer toute sorte de livraisons que ce soit sur des charrettes ou dans des tombereaux. Certains fermiers mordelais vont par exemple vendre du lait tous les matins à Rennes. Pendant le conflit mondial des années 40, pour pallier le manque de charbon, des tombereaux remplis de bois de chauffage approvisionnent les ménages.
C’est également l’époque où les pommiers prédominent car la fabrication du cidre à la ferme assure un bon revenu.
Le cidre mordelais est d’ailleurs reconnu et souvent primé aux concours régionaux, voire nationaux.
Avant la seconde guerre mondiale, le cidre se vend à Rennes en moyenne 7% plus cher que dans le reste du département. Le cheval contribue pleinement à cette activité.
Dans beaucoup de fermes mordelaises, on utilise des broyeurs à pommes entraînés par des manèges à chevaux. La pulpe ainsi obtenue est ensuite chargée dans un pressoir pour en extraire, après plusieurs manipulations, le fameux jus.
C’est le cheval qui achemine le cidre jusque dans les cafés rennais et approvisionne les nombreux cafés mordelais où la bolée est une tradition incontournable.
Un fût contient selon les cas 4, 5 ou 6 barriques[1], un seul est transporté à la fois, chargé sur une charrette et fermement maintenu pour arriver sans encombre à destination.
Principal outil des transporteurs également
Pendant toute cette première moitié du XXe siècle, les fermiers ne sont pas les seuls Mordelais à utiliser le cheval pour leurs livraisons.
Ainsi, à Mordelles, les transporteurs utilisent le cheval pour effectuer des livraisons pour le compte d’entreprises.
C’est le cas, par exemple, de Clément Renaudin qui, à l’aide d’un tombereau, charge et fournit du sable aux maçons.
Le commissionnaire aussi, tel un postier, livre des colis. Pour ce faire, il utilise une grande voiture recouverte d’une épaisse toile cirée pour garder "ses commissions" à l’abri des intempéries. En 1900, c’est Joseph Hubert qui exerce cette fonction tandis que dans les années 30, Constant Delanoë prend le relais.
Les routes sont donc régulièrement empruntées par des voitures ou des charrettes attelées ce qui implique, déjà à l’époque, un minimum de règles de circulation. Des accidents surviennent toutefois comme celui qui, pendant la guerre, oppose à un camion allemand, la charrette chargée de fumier, conduite par Jules Godet. Plus de peur que de mal pour la famille de celui-ci, gaillardement installée à l’arrière… sur le fumier !
Par ailleurs, même si les collisions entre le tramway d’Ille-et-Vilaine qui traverse la commune et les voitures attelées qui y circulent, restent rares, les conséquences de tels accidents s’avèrent souvent dramatiques.
Un cheval a un régime particulier à Mordelles : il s’agit de celui qui conduit le corbillard. Pour accomplir cette tâche, il faut qu’il soit de nature très calme. Son allure est aussi particulièrement soignée : ses sabots cirés et sa robe régulièrement brossée. Léonard Barbedor, puis Clément Renaudin, propriétaires d’un cheval ayant reçu cette distinction, assistent ainsi à tous les enterrements.
Vétérinaires et maréchaux-experts
A plusieurs reprises, nous avons évoqué la placidité du cheval. Qu’on ne s’y trompe pas, certains spécimens dérogent à la règle et l’une des façons de les assagir est de les castrer ; c’est alors le travail du vétérinaire, souvent assisté par le maréchal-ferrant.
A Mordelles, comme dans les autres communes environnantes, il n’y a pas de vétérinaire. C’est un vétérinaire basé à Rennes qui se déplace pour assurer, chaque semaine, les missions les plus délicates comme la castration ou l’ablation de la queue des chevaux.
Henri Rouault, habitant rue des Déportés à Mordelles, est maréchal-expert. Il fait fonction de vétérinaire sur la commune sans toutefois pratiquer les interventions risquées évoquées ci-dessus. Il intervient aux côtés des fermiers essentiellement lors des vêlages difficiles.
Michel David raconte cette anecdote qui remonte à sa petite enfance :
« dans le bistrot situé à la place de l’actuel restaurant "Kercé-ine", un paysan amène son cheval en vue de le faire châtrer. Bien entendu, la cérémonie déplaît particulièrement à l’animal qui rue et manifeste haut et fort sa désapprobation. L’ablation de l’organe est à peine terminée qu’un chat s’en saisit prestement et dévore son butin un peu plus loin sous mon regard catastrophé. Je m’en souviens encore aujourd’hui. Je ne comprenais pas pourquoi on faisait subir de telles atrocités à ce pauvre cheval et je me posais beaucoup de questions. »
Ami et compagnon de loisir
Très longtemps, le cheval est indispensable aux fermiers et artisans pour de nombreux travaux. Puis au fil du temps naissent de nombreuses disciplines équestres et les familles seigneuriales, très présentes à Mordelles, font du cheval un compagnon apprécié.
Compagnon qui, lorsqu’il est placide, tracte très régulièrement les voitures des châtelains ainsi que, parfois, celles des fermiers les plus aisés. Le maire de l’époque, Robert de Toulouse-Lautrec, se rend tous les jours en mairie avec son véhicule hippomobile dirigé par un cocher. Le dimanche, les châtelains mordelais vont à la messe en voiture attelée. Pendant que l’animal patiente en attendant son propriétaire, il a droit à son picotin, ration d’avoine présentée dans un petit sac.
Autrefois, si certains conducteurs de fiacres mettent un panier sous la queue du cheval, c’est pour récupérer le crottin. En effet, celui-ci constitue un excellent engrais, notamment pour les fleurs.
Les fermiers mordelais ne prennent toutefois pas cette précaution. Aussi est-il usuel, à l’époque, de voir femmes et enfants se précipiter sur la route après le passage d’un cheval pour récupérer, avec pelles et seaux, ses excréments encore chauds.
Rien ne se perd et ces gestes ont aussi le mérite de nettoyer les rues.
Compte tenu de l’importance du cheval dans cette première moitié du XXe siècle, rien de bien étonnant à distinguer sur d’anciennes photos prises au centre du bourg notamment, soit des barrières, soit des anneaux destinés à attacher les chevaux en pleine rue. Les anneaux sont scellés à même le sol ou ancrés dans de grosses pierres en granit.
Alors que les chevaux de trait sont prisés pour leur puissance de traction, les chevaux de course sont réservés aux loisirs. Lors de la fête annuelle qui se déroule en août à Mordelles, une large place est faite d’une part, au raid hippique attelé sur route qui part le matin de Rennes pour traverser de nombreux villages et d’autre part, aux courses organisées l’après-midi à l’hippodrome du Grand Pont.
Certains nobles se passionnent réellement pour cet animal. Le comte de Toulouse-Lautrec possède de nombreux chevaux et parcourt la France entière pour participer à des courses hippiques. Ses chevaux sont méticuleusement sélectionnés et vivent dans un environnement luxueux.
La photo, ci-dessous, représentant les écuries du château de la Haichois en témoigne.
Pour conclure, un clin d’œil à un galopeur né dans les années 90 et élevé par Louis Neveu à la Perruche. Celui-ci porte, en effet, un nom sympathique "Le Mordelais".
Sources des photos et des textes
Photos : archives A.M. Nédellec, collection privée. Ecomusée du Pays de Rennes. Textes : entretiens avec M. David et M. Costo.
Notes et références
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