Le cœur historique de Mordelles
Article rédigé à l'occasion d'une visite patrimoniale organisée à Mordelles en juin 2013 et commentée par Philippe Bohuon, membre du syndicat d’initiative de Rennes.
Les maisons en pierre très caractéristiques de la rue de la Libération font l'objet d'un autre article (Maisons en pierre, en terre).
Étymologie et histoire de Mordelles
Les fouilles archéologiques réalisées par l'Inrap sur le secteur du Val de Sermon ont mis au jour des traces de civilisations datant de deux périodes très anciennes : l'Antiquité avec des vestiges datés entre la fin du Ier siècle avant notre ère jusqu’au milieu du IIe siècle de notre ère et le début du Moyen Âge (du milieu du VIe siècle jusqu’au IXe siècle).
Cependant, il faut attendre la naissance des paroisses au XIe siècle, à l'instigation de l'Eglise, pour voir citer pour la première fois, en 1032, le village de Mordelles. Ce dernier existe vraisemblablement déjà mais sauf erreur de notre part, aucun document n'en atteste officiellement.
Concernant maintenant l'origine du nom "Mordelles", plusieurs hypothèses sont avancées[1] :
- il serait issu du latin "Mauricella", signifiant cellule du Maure,
- ou encore du celte "Morzelles", autrement dit "grande habitation".
Au XIe siècle, le territoire de Mordelles dépend du seigneur de Craon, originaire de Mayenne. En effet, beaucoup de seigneurs mayennais possédent à cette époque des domaines en Bretagne.
Lorsque le duc de Bretagne le dépossède de ses terres pour les donner à un certain Auffroy de Mordelles, l'emplacement primitif de l'église de Mordelles se situe route de l’Hermitage.
Quant aux armoiries de Mordelles ou "écu de gueules au croissant d’or", elles proviennent sans doute du blason de la famille d'Auffroy de Mordelles.
Un nom a beaucoup marqué l’histoire de Mordelles : celui de la famille de Farcy laquelle, au XVIIe siècle, est propriétaire du château de la Ville-du-Bois. On retrouve également des membres de cette même famille parmi les possesseurs des châteaux de Beaumont et de la Chesnaye.
Nous devons le style de construction de la mairie et de l’église actuelle à la famille de Farcy et notamment à Paul de Farcy, maire de Mordelles de 1874 à 1919, lequel utilise les services de l’architecte Jacques Mellet dont le cabinet est situé rue Hoche, à Rennes.
C'est encore Jacques Mellet qui édifie pour cette famille un hôtel particulier quai Lamennais à Rennes et surtout le château de la Chesnaye vers 1860 à Mordelles.
Ses deux fils, Jules et Henri, embrassent la même carrière et à eux trois, ils construiront une bonne trentaine d’églises en Ille-et-Vilaine. Jacques, le père, a été le premier à réintroduire le style gothique dans la région. L'ancienne église, située également place Saint-Pierre à Mordelles mais antérieure à celle que l'on connaît actuellement, possédait un cœur roman.
La mairie de Mordelles est achevée en 1862 et sert, à l’époque, à la fois de mairie, d'école et de tribunal de justice. Elle arbore un style néoclassique avec une façade en pierre calcaire et moellons recouverts d’enduit, des baies jumelées deux à deux, un avant-corps central et un fronton abritant l’horloge communale. Avant son agrandissement, la superficie de la mairie s’élève à environ 500 m²; elle est égale à 2000 m² aujourd'hui.
Avenue du Maréchal Leclerc
Si certaines constructions remontent aux XVIIe et XVIIIe siècle, la plupart visibles le long de cette rue et structurant encore actuellement le centre-bourg, datent du XIXe siècle. Plusieurs sont remarquables.
Tout d'abord au numéro 40, voici une maison qui date de la fin du XIXe siècle (années 1880 à 1890). Elle possède trois ouvertures au rez-de-chaussée, trois à l’étage parfaitement symétriques et une toiture qui, à l’origine, était dépourvue de baies. Les fenêtres possèdent des piédroits harpés[2], style caractéristique de l'époque. Elles sont légèrement cintrées et ont, à leur sommet, une pierre calcaire.
Longeant le trottoir, le garde-corps à balustres, sans doute d’origine, est haut et imposant. C'est à relever car assez rare dans la région.
Le dernier niveau a été ajouté. Les faux pans de bois témoignent d'une technique largement utilisée dans l’entre-deux-guerres (probablement 1920 à 1930).
Cette maison fut achetée par un notaire, André Métayer. Sur la porte d’entrée, figure un monogramme avec les lettres R et M : initiales entrelacées des deux époux[3]. Le portail en fer forgé affichait à l’origine le même emblème mais très abimé, il a été restauré par l’actuel propriétaire, lequel y a fait apposer à son tour ses initiales : JLD[4].
Michel David se souvient que la grande baie située à gauche sur la façade de cette maison correspond à une extension destinée à recevoir les bureaux de l'étude de Maître Métayer. Selon lui, la construction peut dater des années 1939-1940, le chantier ayant été confié à son père.
En direction de l’église, une autre maison dont la date de construction, 1922, est gravée sur la façade, attire l'attention. On y voit la même brique harpée au niveau des ouvertures ce qui laisse supposer que la partie située à droite est plus récente. De la mosaïque disposée en frise figure sur la partie haute du bâtiment ainsi que sous les fenêtres où le travail est alors calibré et nettement plus recherché.
Le mosaïste, Isidore Odorico (fils)[5] en est peut-être le créateur.
Toujours dans cette avenue mais plus proche de l'église, la maison ayant appartenu d'abord à la famille Hubert[6], puis à la famille Gilles[7] (ci-dessous, photo de gauche).
C’est une demeure bourgeoise, à l'allure imposante et bâtie aux alentours de 1840 ou 1850.
Considérant l’architecture de cet hôtel particulier, sans toutefois pouvoir l'affirmer, Philippe Bohuon y retrouve la signature de l’architecte rennais Louis Richelot auteur, entre autres, de l’hôtel de Courcy situé au 9 rue Martenot, à proximité du parc du Thabor à Rennes.
A proximité, le garage Gentil (ci-dessous, photo de droite) dont le nom figure toujours sur la façade et dont la forme et les ouvertures sont caractéristiques de l’entre-deux-guerres.
Le numéro 12 de l'avenue du Maréchal Leclerc mérite un arrêt prolongé. Cette ancienne horlogerie-bijouterie Aerni-Eon, puis Simon, est, de l'avis de Philippe Bohuon, une maison unique de par son architecture et les matériaux employés.
Cette maison construite peu après 1875 est érigée sur deux niveaux. La séparation entre le rez-de-chaussée et le premier étage est marquée par un bandeau.
Sa structure la distingue des autres constructions ordinairement observées sur le territoire de Rennes Métropole. Elle possède d’imposantes arcades en briques surmontées par des chapiteaux et clés de voûtes en pierre calcaire. Le fer forgé protégeant les ouvertures, la porte ouvragée avec une partie en fer moulé ainsi que les garde-corps datent de la deuxième moitié du XIXe siècle.
De la fin du XIXe siècle jusque dans les années 60, toutes les Postes, gendarmeries et écoles, construites pour le compte du département, ont été l’œuvre de deux architectes : Jean-Marie Laloy et son fils, Pierre-Jacques. C'est à ce dernier que nous devons le bâtiment de l’ancienne Poste. Il est en granit et arbore un pignon triangulaire.
Un article est consacré à l'histoire de la Poste à Mordelles.
Place Saint-Pierre
C'est là que s'élève l’église de Mordelles, construite par Jacques et Henri Mellet au milieu du XIXe siècle. Elle remplace un bâtiment plus petit de style roman, situé plus avant. L'ancienne église[8] en forme de croix possédait une abside romane et quelques fenêtres du XVe siècle. Elle comportait plusieurs chapelles dont l'une était aux seigneurs de la Haichois.
Philippe Bohuon rappelle que, dans toute la France à partir de 1840 et jusqu’à la première guerre mondiale, des chantiers[9] ont été engagés pour remplacer les églises délaissées depuis la Révolution française, en mauvais état ou encore trop petites. Ce phénomène fut amplifié par une certaine émulation visant à faire aussi bien si ce n'est mieux que la commune attenante lorsque celle-ci entreprend une nouvelle construction. C'est à qui aura donc l'édifice le plus imposant.
La flèche de l’église actuelle de Mordelles fait partie des plus hautes du secteur et culmine à 55 mètres au-dessus du parvis. A cette époque, le budget alloué à de tels travaux est très élevé et toute la population est mise à contribution. Le curé se rend au domicile de chaque famille pour demander une participation financière. Les plus pauvres apportent eux-aussi leur contribution en retroussant leurs manches et ils représentent une main-d’œuvre conséquente, fort appréciable.
La construction de l'édifice va être menée en deux temps : toute la partie en schiste avec des ouvertures en calcaire blanc est réalisée sous la conduite de Jacques Mellet (père) dans un style néogothique en 1852 alors que le clocher n'est construit qu'à la fin des années 1870, sous la houlette d'Henri, son fils cadet. En effet, Jacques Mellet, par manque d’argent, doit interrompre le chantier et il faut attendre quelques années avant que l’Etat n'accepte de subventionner la fin des travaux. Henri Mellet succède alors à son père décédé et achève son œuvre en réalisant la tour du clocher ainsi que la flèche le 8 juin 1882.
Sur la photo ci-dessus, vous pouvez visualiser une partie de ce clocher présentant un pinacle et des têtes gravées.
L’intérieur de l’église est inauguré en 1861. De nombreuses brochures ont été éditées à ce sujet lors de la célébration de son cent cinquantenaire.
Le retable de la Vierge est une œuvre du sculpteur Jean Hérault, datant de 1862-1863. Sur les photos ci-dessus à droite, vous distinguez le blason frappé des clés de Saint-Pierre ainsi que celui de la famille de Farcy "d'or fretté d'azur de six pièces, au chef de gueules", rappelant ainsi les liens étroits qui unissent l’architecte Jacques Mellet à Paul de Farcy.
La maison du docteur Pierre Dordain[10], située derrière l'église, fait partie également du patrimoine mordelais. Datant de la deuxième moitié du XIXe siècle, elle est bâtie en briques et pierres blanches.
Rue des déportés
La maison située au croisement de la rue des déportés et de l'avenue de Lorient est la maison familiale où Angèle Thézé est née. Cette bâtisse a une architecture très particulière due à sa forme atypique et à son implantation géographique. Un décor réalisé en briques[11] est visible sous la toiture et des pilastres, qui apparaissent surdimensionnés par rapport à la taille du bâtiment, en rythment la façade côté route de Lorient.
Un peu plus loin dans la rue des déportés se trouve la maison probablement la plus ancienne de Mordelles. Un article entier lui est consacré dans notre site.
Certes sa façade ne trahit pas son grand âge mais lorsqu'on s'approche pour regarder sous le toit, on observe une sablière en bois[12] avec un décor sous forme de filet appelé également entretoise sur pigeâtres[13]. Ce même type de présentation se retrouve sur des maisons en pans de bois dans le centre historique de Rennes et datant du XVIe siècle.
Galerie de photos
Voici en conclusion diverses constructions. Deux d'entre elles, la longère avenue du Maréchal Leclerc et la maison Vinot rue de la Libération, ont été remplacées par des immeubles.
Longère, avenue du Maréchal Leclerc
Manoir du Pressoir (arrière)
Sources des photos et des textes
Photos : archives A.M. Nédellec, collection privée et R. Birot (photos prises en 2013).
Textes : d'après le discours de Ph. Bohuon (syndicat d'initiative Rennes), A.M. Nédellec (entretien avec M. David).
Notes et Références
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