Un train à Mordelles
La commune de Mordelles a été traversée pendant de longues années par une ligne de chemin de fer sur laquelle circulaient les tramways à vapeur de la compagnie TIV.
Ce tramway a eu une réelle incidence sur l'économie de la commune.
Naissance de la la Compagnie des Tramway d'Ille-et-Vilaine
Dès 1857, il est mis en place un réseau ferré d’intérêt général, disposé en étoile autour de Rennes. Le concept de "ville-archipel" est déjà d'actualité.
Il faut beaucoup d'années et d’interminables tergiversations pour que ce réseau soit enfin complété par de nombreuses lignes secondaires. Ainsi le Conseil Général, au cours d’une session décisive du 22 août 1891, décide-t-il la construction d’environ 238 km de lignes.
En 1895, le Président de la République, Félix Faure, déclare d’utilité publique l’établissement dans le département d’Ille-et-Vilaine d’un réseau "de lignes de tramways à traction de locomotives" destiné au transport des voyageurs et des marchandises.
La réalisation et l’exploitation de ce réseau sont alors confiées à la Compagnie des Tramways à Vapeur d’Ille-et-Vilaine (TIV).
Lignes de tramway passant à Mordelles
La ligne Rennes - Plélan
La ligne Rennes-Plélan, longue de 35 km et passant par Mordelles, est ainsi mise en service de 1898 à 1948. Le premier train, qui traverse le bourg de Mordelles, s'élance de Rennes le 28 août 1898.
Le tramway suit majoritairement l’accotement des routes, et donc la D 24[1], pour continuer à travers champs entre Mordelles et Treffendel. La voie a une largeur d'1 mètre, la vitesse des trains est de 20 km/h maximum et réduite à 10 km/h lors de la traversée du centre bourg.
Horaires de passage à Mordelles
Ce tableau des horaires de 1924 indique qu’il faut compter près d’une heure pour rejoindre Mordelles à partir de la gare centrale de Rennes (Saint Cyr), soit une moyenne de 18 km/h. En effet, les possibilités techniques du matériel de traction, les tangages incessants et la peur des voyageurs qui sont ballottés, ne permettent pas aux trains d’aller au-delà de cette vitesse. A noter également que le tramway est souvent en retard, les horaires ne sont donc communiqués qu'à titre purement indicatif.
La traversée de Mordelles
Les voies du tramway dans Mordelles
Le tramway s’arrête 3 fois dans Mordelles avant de rejoindre Bréal et Plélan :
- à Grande Fontaine (arrêt demandé par Robert de Toulouse-Lautrec car proche du château de la Haichois),
- à la gare (arrêt station) en face de l'ancien cimetière,
- près de l’église (arrêt centre),
Ce dernier arrêt n'est pas prévu initialement. Il est ajouté suite à une pétition des Mordelais. Ces derniers craignant en effet que les vibrations n'endommagent le clocher de l'église ainsi que les maisons situées à proximité des rails, ils réclament un arrêt supplémentaire pour réduire la vitesse du tramway lors de sa traversée du bourg.
Cette photo vous montre la voie prise sur la chaussée, laquelle s'appellera plus tard "avenue du Maréchal Leclerc".
La gare de Mordelles
La plupart des gares sont alors construites sur le même modèle : des chalets en bois rouge grenat avec un toit de tuiles rouges, orné de parements de terre cuite ciselés. Aujourd'hui, à Mordelles, il ne reste plus rien de la gare si ce n’est le puits qui servait à alimenter la locomotive fonctionnant à la vapeur (ce puits se trouve dans un garage, au numéro 57 de la rue du Maréchal Leclerc).
A gauche sur la photo ci-dessous, on aperçoit le quai de déchargement des marchandises. Au centre, on distingue la gare ainsi que le guichet de vente des billets qui est tenu à l'époque par Angélique David, à la fois arrière-grand-mère de Pol David (opticien) et grand-mère de Michel David (anciennement maçon).
Ci-dessus, au premier plan et au centre des deux voies, se dresse une pompe à volant qui sert à extraire l’eau du puits pour approvisionner le tramway. En dehors de la gare, les voies sont uniques. Les trains restent donc en attente dans des voies de garage afin de laisser passer ceux qui arrivent en sens opposé.
A droite, on devine le mur du cimetière tandis qu'en arrière-plan, se profilent le clocher de l’église et la maison du menuisier Paul Lefébure.
Sur la photo ci-dessus, le cimetière se situe à gauche. On retrouve à droite la pompe à eau ainsi que la halle aux marchandises, la gare étant à l'extérieur de cette image. Tout-à-fait, en arrière-plan, on peut voir la ferme Doreau, puis Renaudin (ferme rénovée située aujourd’hui près du rond point desservant la Poste).
L'arrêt place Saint-Pierre
La première photo ci-dessous nous montre l’arrêt situé au centre du bourg près de la quincaillerie David (aujourd'hui, magasin optic 2000). Sur la partie de gauche, se trouve la salle d’attente des voyageurs.
La deuxième photo ci-dessus représente la voie place St Pierre[2] en direction de Bréal.
Les voyageurs
Ce tramway joue un rôle très important à l'époque. En effet, il présente tout d'abord un intérêt touristique. Le dimanche, des « trains de plaisir » circulent en direction de Mordelles et jusqu’à la forêt de Paimpont. Certains Rennais en profitent également pour descendre en gare de Mordelles, canne à pêche sur l’épaule, à la belle saison, pour pêcher au bord du Meu. De nombreux concours étaient ainsi organisés.
Les Mordelais utilisent également le tramway pour aller vendre leurs produits sur le marché des Lices le samedi. Le confort est minimaliste, les bancs sont en bois.
Il permet aussi d'acheminer le courrier des Mordelais.
Les marchandises
Il sert encore au transport des pierres à bâtir et des gravillons de schiste extraits de la carrière de Cannes (basée à Saint Thurial). Les matériaux extraits sont chargés sur des wagons plateforme qui traversent Mordelles, au moins une fois par jour, en direction de Rennes. Ils sont utilisés pour la construction de bâtiments et habitations dans Rennes, citons notamment les maisons en schiste du Mail. Le train transporte enfin du cidre, du grain, des engrais et des pommes. Le cidre de Mordelles est alors réputé. A l’époque, plusieurs négociants en grains exercent dans la commune.
La vie autour du train
Peu de Mordelais, excepté nos aînés, connaissent l'histoire de ce tramway. Beaucoup ignorent donc la raison du décrochement réalisé dans l'avenue du Maréchal Leclerc, face au cimetière du centre. C'est tout simplement l'emplacement de l'ancienne gare.
Voici quelques anecdotes à propos de ce tramway, racontées par d'anciens Mordelais :
en provenance de Bréal, en hiver et lorsque les rails sont gelés, le tramway patine dans la côte à l’entrée de Mordelles. En effet, n’étant adapté ni à la pente, ni aux virages prononcés, il doit ralentir pour aborder la courbe située près de l’ancienne conciergerie de la Perruche (propriété de Monsieur et Madame Neveu) sachant qu'il s’arrête ensuite près de l’église (arrêt centre).
Dans les années 30, Madame Quéro Collin, surnommée La petit' Marchand' car elle parcourt la campagne et les rues de Mordelles pour vendre du fil et des boutons, habite près du passage du tramway. Notez sur la photo ci-contre que son surnom est toujours inscrit en fer forgé sur les volets de sa maison. On en doit la réalisation à Joseph Thézé, autrefois forgeron au Clos Ferré.
Ainsi, lorsque le train se trouve en difficulté, la petit' Marchand' utilise la cendre de son poêle pour l'épandre sur les rails et permettre au tramway de continuer sa route.
Lors de forts vents d’ouest, il arrive également que des wagons, stationnés près de la halle de la gare de Bréal, se retrouvent propulsés devant la propriété de la Perruche à l’entrée Ouest de Mordelles. Parfois, ce n'est pas le vent qui est le responsable mais de petits farceurs qui desserrent discrètement les freins et se cachent pour rire de leur plaisanterie.
Pas de climatisation à l'époque ! Ainsi, en hiver, des chaufferettes sont fournies aux voyageurs pour leur éviter, autant que faire se peut, d'avoir froid aux pieds. Ces bouillottes perdent toutefois très rapidement de leur efficacité et une fois à Mordelles, elles sont complètement froides.
Les usagers, qui se penchent à la fenêtre ou qui se trouvent sur la plateforme arrière, reçoivent inévitablement des escarbilles provenant de la chaudière qui fonctionne au charbon.
Le passage du train à la fois fascine et intimide. Vibrations, bruit, fumée et sirène à vapeur annoncent son arrivée.
A l'époque, les cafés de Mordelles sont d'ailleurs tous situés du côté nord de la rue de Rennes (actuelle avenue du Maréchal Leclerc) et de la place Saint-Pierre, les rails se trouvant côté sud. En effet, le passage du tramway engendre de telles vibrations qu'elles sont ressenties jusqu'à l'intérieur des bâtiments. Une exception toutefois à cette règle : le café jouxtant la quincaillerie Trochu qui est localisé à la place actuelle du Crédit Mutuel donc du côté des rails.
Pendant la seconde guerre mondiale, les Allemands utilisent également le tramway pour transporter des vivres. En riant, Michel David nous raconte qu'à cette époque, alors qu'il a un peu plus d'une dizaine d'années, il remarque avec son frère aîné que pendant leurs rondes, les Allemands s'éloignent suffisamment longtemps de certains wagons pour qu'il ait le temps de s'y engouffrer et d'y chaparder quelques victuailles. C'est muni d'un boisseau que le petit Michel David commet alors à plusieurs reprises de menus larcins "à la barbe des Allemands".
Après la seconde guerre mondiale, l'usage de l'automobile se développe et le réseau des T.I.V. peine à se moderniser. En 1937, les lignes Bréal-Redon et Guer-Redon sont supprimées ; seule la ligne Rennes-Mordelles-Guer subsiste. Cette ligne est définitivement arrêtée le 31 août 1948. Les rails resteront en place dans le bourg de Mordelles, plusieurs années après l'arrêt du train.
Autres gares des TIV
Ci-dessus, 3 petites gares des TIV dont celle de Le Rheu qui était sur la ligne passant par Mordelles
Ci-dessus les gares rennaises "Mission" et "Viarmes"
De nos jours
Il ne reste plus grand chose des tramways d'Ille-et-Vilaine qui ont eu leur heure de gloire.
Aujourd'hui, la gare de Mordelles est ... à l'Hermitage, soit à plus de 7 km. La voie entre Mordelles et Bréal est maintenant un sentier pour la balade à pied ou en vélo (photos ci-dessous). Quant à l'ancienne gare, le décrochement est devenu une contre-allée et un parking.
Quant au matériel roulant, une locomotive des TIV, la n°75, a été rénovée et est fonctionnelle. Elle est visible au Musée des Tramways à Vapeur (MTVS) de Butry-sur-Oise. Elle a été classée monument historique en 1987.
Locomotive des TIV n°75, rénovée. Source Jean François Fessard.
En bonus : une photo exceptionnelle
pour terminer cet article sur l'époque "tramway", une photo prise entre 1932 et 1938.
- Photo 1 : il s'agit d'une vue de la gare et du décrochement (au fond à droite). A droite, se trouve la menuiserie Lefébure. En avant plan, à gauche, le café Gaignoux-Texier qui accueille les voyageurs à la descente du train (aujourd'hui le restaurant "Le Kercé-ine") et travaillant en terrasse, Denise Audrain (la maman de Jean Carret)
- Photo 2 : zoom sur la gare, ce qui permet de visualiser les wagons stationnés devant la halle à marchandises. On aperçoit le château d’eau qui sert à approvisionner le tramway qui fonctionne à la vapeur. Photo inédite car on ne voit ce château d’eau nulle part ailleurs.
Sources des photos et des textes
Archives A.M. Nédellec, cprama, Chapuis, P.Y. Bourneuf, http://tramways35.e-monsite.com/, A. Thézé, M. Costo, J. Carret, G. Chevrier, A. Rault, J. Tillon, MTVS, R. Birot.
Notes et Références
|